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L'énigmatique portrait de Jack l'éventreur
Si les horreurs du criminel forment une triste réputation quasi-universelle, son identité est restée énigmatique, donnant lieu à nombre d’hypothèses. Plus d’une centaine d’individus ont été soupçonnés : aristocrates, notables, médecins et nombre de profils moins fréquentables. Anecdote oblige, l’un d’entre eux n’est rien moins que Lewis Caroll ! Un bibliographe sourcilleux avait dans certains de ses textes, découvert à l’aide d’anagrammes, des éléments évocateurs des scènes sordides de Whitechapel. Fort heureusement les soupçons furent vite dissipés par les enquêteurs. On comptera également dans la liste l’étrange Joseph Merrick, autrement nommé Elephant man…
C’est en 2002 que l’auteur Patricia Cornwell, publiant un ouvrage documentaire sur l’affaire, révèle selon ses dires, la véritable identité du tueur en série. Elle aura pour la circonstance dépensé six millions de dollars pendant deux ans ; achetant tour à tour, lettres, autographes et quantité de tableaux de l’artiste qu’elle considère comme le coupable : Walter Sickert (1860-1942). En l’état, rien ne vérifie objectivement la culpabilité du peintre, les passions alimentent toujours la polémique, établissant par là, différents partis.
Aujourd’hui, l’une des plus longues et retentissantes affaires criminelles depuis 1888 connait un rebondissement par la publication de l’ouvrage de Johann Naldi, expert en tableaux du XIXè siècle et galeriste. Pour l’auteur – exprimant ainsi sa reconnaissance explicite à Patricia Cornwell – le tableau qu’il achète six-mille euros dans une petite vente aux enchères de province et pour lequel l’on se demande pourquoi les enchères sont-elles monté aussi haut pour une œuvre anonyme, est un portrait de pied en cap qu’il finira par attribuer à Jacques-Émile Blanche représentant Walter Sickert alias Jack l’Éventreur ! Bien des tableaux de cette époque ne revêtent aucune signature. Nombre de peintres, emparés d’une certaine vanité pensaient que seul leur style suffirait à authentifier l’auteur. Delacroix appelait cela la petite musique du tableau.
De tout l’œuvre éminemment bourgeois de Jacques-Émile Blanche (1861-1942), l’histoire a retenu un fameux Marcel Proust, Claude Debussy et le portrait de Julia Bartet.
L’on notera, par esprit de curiosité que l’artiste est élevé dans une propriété ayant appartenu à la princesse de Lamballe, dont on connait l’issue sordide. Il est des parallèles qu’on n’ose tracer… Son grand-père, psychiatre, a compté Gérard de Nerval parmi ses patients. Mais le peintre est également l’ami de Walter Sickert qu’il rencontre à Londres en 1882 et sera le détenteur de certaines de ses œuvres. La consultation de sa correspondance avec André Gide et autres épistoliers fait apparaître ses interrogations à l’endroit de ses moeurs et des troubles qu’il perçoit à l’égard de son attitude, son isolement…
Walter Sickert figure parmi les membres du Camden Town Group dans lequel on retrouve Lucien Pissaro, fils de Camille, ou Wyndham Lewis, fondateur du Vorticisme. Interlope aux manières excentriques, il s’intéresse aux scènes de genre populaires, aux faits divers. Il rencontre son mentor, Degas en 1883. Celui-ci le conforte dans l’idée que le dessin est consubstantiel de la peinture et que plutôt que la nature, l’atelier est le meilleur terrain de l’art. On le cite parfois comme inspirateur d’Edward Hopper. Les scènes de music-hall exécutées avec des points de vue singuliers, le sordide, la dépravation, le sensationnalisme lubrique deviennent la matrice du peintre. L’Ennui est une scène de genre commentée par Virginia Woolf où elle décrit l’angoissante ambiance d’un non-fait…
L’analyse de Johann Naldi repose sur une interprétation très personnelle du tableau qu’il attribue à Jacques-Émile Blanche. Bien sûr tout le monde remarque l’attitude coupable de l’homme, son regard peu rassurant, les roues rouges -décrites d’autorité comme celle d’un charriot- sont-elles celles du Char de la Mort de Théophile Schuler, celles de l’Ankou ou bien d’Hadès ? Johann Naldi évoque à cet endroit un fait divers relatant la découverte de la première victime de Jack l’Éventreur trouvée gisant sur le pavé par un charretier de Whitechapel en 1888 ; coïncidence troublante qui signifierait que Jacques-Émile Blanche ait reçu les terribles confidences de son ami sur cet assassinat, ce qui semble peu probable.
Pour conclure, à notre humble avis, Johann Naldi attèle son analyse sur sont autorité d’une part, sa perception romantique des phénomènes plastiques, mais surtout, développe un sentiment qui s’ancre sur une opportunité sensationnaliste conduite par un attachement ardent à la thèse défendue par Patricia Cornwell.
Quoi qu’il en soit, concluons que les crimes de Jack l’Éventreur continueront à faire couler encore beaucoup… d’encre.
Pascal Bouchet-Spiegel
Johann Naldi, L’unique portrait de Jack L’Éventreur. Paris, Éditions de l’observatoire, 2004
Jack l’éventreur, affaire classée, portrait d’un tueur Patricia Cornwell – trad. de l’américain par Jean Esch. Le Livre de poche