Sculpture
Le cheval Majeur de Raymond Duchamp-Villon, 1914
Raymond Duchamp-Villon, né le 15 novembre 1876 à Damville près de Rouen, est le seul des six enfants Duchamp a se consacrer exclusivement à la sculpture après avoir quitté ses études de médecine. A ses débuts, il expérimente différents styles en passant de l’Art Nouveau au Naturalisme de Rodin pour s’en éloigner progressivement en simplifiant ses formes. Il finit par revendiquer l’esthétique cubiste et abstraite au travers du Groupe de Puteaux qui en 1912 prend le nom de Section d’Or.
Symbole de la mécanisation dans la société
Fusion entre vivant et machine
Raymond Duchamp-Villon connaît une longue période de réflexion avant d’aboutir à son œuvre finale, Le Cheval Majeur *, une sculpture abstraite dans laquelle il mêle force vitale et force mécanique. Il commence par travailler sur la figure du cavalier monté à dos de son cheval pour ne garder finalement que la représentation de l’animal dont il ôta tout aspect naturaliste.
L’œuvre ne fut jamais moulée du vivant de l’artiste. C’est seulement à partir de 1930 que ses frères Jacques Villon et Marcel Duchamp réalisent des sculptures en bronze puis en acier (1966) agrandies d’après le modèle original en plâtre.
Dans son œuvre, Raymond Duchamp-Villon n’hésite pas à créer une fusion entre deux sujets qui semblent opposés mais qui, selon lui, sont équivalents : la force du cheval et celle de la machine. Il note une correspondance entre les articulations de l’animal et celles de l’appareil. C’est pourquoi il déconstruit l’animal et remplace les parties anatomiques par des engrenages, des rouages, des pistons, des bielles ou encore des essieux. La musculature du cheval perd son aspect vivant pour devenir artificielle et matérielle.
Cet intérêt pour la machine s’est renforcé dans les années 1910 en parallèle avec les recherches des futuristes italiens qui prônent la civilisation mécanisée. En 1909, Filippo Tommaso Marinetti rédige le premier Manifeste futuriste dans lequel il affirme « vouloir créer définitivement le nouvel art plastique inspiré par la machine« , et ainsi repenser l’homme face au monde de la machine, de la vitesse et de la technologie. Les idées de Umberto Boccioni se développent au même moment dans le Manifeste Technique de la Sculpture Futuriste datant du 11 avril 1912. Le frère de Marcel Duchamp semble avoir été influencé par ces figures majeures du mouvement futuriste italien qui incarnait l’amour pour la force et l’énergie de la technologie.
Raymond Duchamp-Villon écrit à son ami américain Walter Pach en janvier 1913 : « La puissance de la machine s’impose à nous, nous ne concevons plus guère les vivants sans elle … »
Le reflet de l'Âge industriel
Lors de l’Exposition Universelle de 1889, Raymond Duchamp-Villon visite la galerie des machines dans laquelle il décrit la Tour Eiffel comme “une œuvre de toute puissance et d’audace, hurlant dans un hall fantastique la gloire de l’acier”. Le sculpteur souhaitait exécuter son cheval en acier à une échelle monumentale, afin de faire de son être hybride une véritable allégorie de l’âge industriel et un symbole de la vie moderne. Le cheval Majeur est le témoignage d’une société en évolution et d’une époque qui voit apparaître l’industrialisation.
Véritable « cheval-vapeur », la statue réunit la force du cheval et la puissance de la machine qui surprenait et fascinait en ce début du XXème siècle. C’est cette préoccupation d’un monde en profonde mutation et cet intérêt pour les nouvelles technologies qui ont incité Raymond Duchamp-Villon à introduire des éléments en lien avec les transports. Une turbine, élément de moteur d’avion, est évoquée par la présence d’une spirale ou encore une locomotive représentée par les engrenages et les rouages.
Expression du mouvement
Une composition dynamique
De cette composition pyramidale qui mêle et entremêle des formes géométriques variées naît une certaine dynamique. Les formes circulaires, triangulaires et quadrangulaires qui viennent s’emboiter aux cylindres, aux cônes et aux sections de sphère constituent un assemblage logique formé de plans et de volumes. Les détails sont simplifiés. Raymond Duchamp-Villon a cherché à faire une œuvre synthétique où tout détail est aboli. Les yeux, les naseaux, les oreilles sont absents au profit d’une recherche plastique. Seule la tête, la crinière, l’encolure et un sabot sont représentés dans cette évocation globale du cheval. Les formes sont repliées les unes sur les autres donnant à l’animal un aspect massif et concentré. Elles s’enchaînent naturellement créant une fluidité à l’ensemble.
Raymond Duchamp-Villon joue sur les volumes, les pleins et les creux. Cette opposition des masses donne du rythme à l’ensemble. Les volumes sont rompus par des arêtes vives qui cassent l’aspect plus organique de la structure. Ces arêtes vives qui forment tantôt des lignes rectilignes, tantôt des lignes curvilignes suppriment définitivement le caractère naturaliste du cheval.
De cette composition pyramidale qui mêle et entremêle des formes géométriques variées naît une certaine dynamique. Les formes circulaires, triangulaires et quadrangulaires qui viennent s’emboiter aux cylindres, aux cônes et aux sections de sphère constituent un assemblage logique formé de plans et de volumes. Les détails sont simplifiés. Raymond Duchamp-Villon a cherché à faire une œuvre synthétique où tout détail est aboli. Les yeux, les naseaux, les oreilles sont absents au profit d’une recherche plastique. Seule la tête, la crinière, l’encolure et un sabot sont représentés dans cette évocation globale du cheval. Les formes sont repliées les unes sur les autres donnant à l’animal un aspect massif et concentré. Elles s’enchaînent naturellement créant une fluidité à l’ensemble.
Raymond Duchamp-Villon joue sur les volumes, les pleins et les creux. Cette opposition des masses donne du rythme à l’ensemble. Les volumes sont rompus par des arêtes vives qui cassent l’aspect plus organique de la structure. Ces arêtes saillantes qui forment tantôt des lignes rectilignes, tantôt des lignes curvilignes suppriment définitivement le caractère naturaliste du cheval.
Avec sa composition, Raymond Duchamp se rapproche des recherches du cubisme, par la simplification et la déstructuration des formes, par la décomposition géométrique et par la libération de l’apparence de l’objet.
Comme les cubistes, Raymond Duchamp-Villon cherche à montrer toutes les faces d’un objet dans une même composition. Ainsi, l’aspect de la sculpture en ronde bosse change en fonction de l’emplacement du spectateur, qu’il soit positionné face à la sculpture, sur les côtés ou à l’arrière. L’œuvre dévoile des apparences nouvelles. Le spectateur fait ainsi face à une multiplicité de points de vue.
Cette multiplicité est accentuée par le jeu de la lumière qui n’est pas reçue et perçue de la même manière sur toute la surface. Walter Pach, notait cette idée dans son ouvrage Raymond Duchamp-Villon sculpteur « Les surfaces se continuent ou s’accentuent magistralement, de grands pans de lumière et d’ombre s’organisent, dramatiques et sonores« . Par la lumière, la sculpture vibre et semble vivante.
Pour les uns, comme Marie Noëlle de Grandy-Pradellle qui a écrit une thèse sur Le Cheval Majeur, cette masse puissante serait une sculpture apaisante, pour d’autres, au contraire cette sculpture serait menaçante car elle se dresse et semble surgir véritablement du sol.
Un mouvement contenu
Dès ses débuts, les recherches de Raymond Duchamp-Villon visaient à représenter une notion abstraite : le mouvement, dans le concret, la sculpture. Un écrit de Raymond Duchamp-Villon affirmait « au lieu d’immobiliser le mobile, mobiliser l’immobile, tel est le vrai but de la statuaire ». Il voulait ainsi donner une forme plastique à une vision dynamique et faire de son cheval une statue dédiée au mouvement.
Cette recherche est la même que celle conduite parallèlement par les futuristes italiens comme Umberto Boccioni, Carlo Carrà ou encore Giacomo Balla. Les futuristes italiens suggèrent le déplacement par une répétition du motif, notamment en peinture, qui produit un mouvement saccadé. Umberto Boccioni, lui, exprime le déplacement dans Formes uniques dans la continuité de l’espace de 1913 par la décomposition de la matière qui semble comme flotter et par l’étirement des volumes dans l’espace.
Quelques années plutôt, l’anglais Eadweard Muybridge faisait des recherches sur le cheval en mouvement toujours dans cette idée de décomposition et de succession cinématique.
Raymond Duchamp-Villon ne suit cependant pas la même voie. Il ne cherche pas à décomposer le mouvement mais retient les forces dynamiques à l’intérieur de la sculpture obligeant le spectateur à simuler le mouvement mentalement. La mobilité est simplement suggérée.
Il exprime « à la fois la puissance nerveuse de l’animal au galop et la force de la machine en plein fonctionnement ». Le cheval devient alors moteur et c’est cet ensemble cheval-moteur qui anime la sculpture d’un mouvement interne.
En 1914, Matisse qualifie la sculpture de « projectile » laissant sous entendre un objet lancé et projeté. La sculpture est donc l’image d’un moteur en action qui fonctionne grâce à ses rouages, ses engrenages et ses bielles pistons.
* C’est en 1966 que Marcel Duchamp rebaptisa la sculpture de son frère « Le Cheval Majeur » en référence à « cheval vapeur » et en lien avec sa taille qui atteignit plus d’un mètre de haut lors du moulage en acier datant de la même année.